Rester tard au bureau le soir, répondre aux emails professionnels le week-end, reporter ses vacances alors que toute la famille a déjà fait ses valises, négliger un patient ou un client pour en privilégier un autre… Tous ces compromis que nous faisons trop souvent au travail deviennent finalement des pertes de valeurs et nous contraignent à agir contre ce que notre jugeons bon de faire. Ce sont ces « petits arrangements avec soi-même » ou ces « marchandages intellectuels » qui finissent par ronger notre motivation au travail !
Au grand étonnement de celui qui observe le fonctionnement d’une entreprise, il arrive que le salarié agisse même à l’encontre de son jugement dans un contexte de libre-arbitre. Or il s’agit souvent d’une pression que l’acteur fait peser sur lui-même, soit parce que l’organisation l’a habitué ainsi, soit parce que ses valeurs s’entrechoquent dans son fonctionnement au travail.
C’est vrai : comment poser un jour de congé pour emmener son enfant chez le médecin en sachant que ses collègues vont alors être surchargés de travail, comment choisir entre la priorité donnée à sa famille et l’empathie pour les autres ? Les exemples de conflits de valeurs ne manquent pas dans l’univers professionnel. Pour ne citer que le milieu hospitalier, les témoignages sont nombreux de soignants tiraillés entre le temps passé à l’administratif, se soumettant ainsi aux impératifs de l’organisation et leur valeur de compassion qui les inciterait à passer plus de temps auprès des patients.
Les arrangements avec nous-même sont des « actes acratiques«
En interrogeant de nombreuses personnes au cours de ce travail, nous avons rencontré une banquière au fort tempérament, aujourd’hui à la retraite. A la question « avez-vous déjà fait preuve d’acrasie », elle a tout d’abord nié avoir jamais cédé sur ses principes, trop « carrée » selon elle pour montrer le moindre signe de faiblesse. Puis en fouillant sa mémoire, elle s’est souvenue avoir réellement échoué à résister lorsqu’alors commerciale, elle avait dû vendre à ses clients des actions d’une grosse entreprise de fabricant de tabac. Elle-même non fumeuse et fortement contre la cigarette, elle a dû céder en dépit de ses valeurs pour privilégier le profit. De son propre aveu, elle a rapidement pris conscience de ce qu’elle faisait et cessé la commercialisation de ces actions pour se concentrer sur d’autres, mais pendant quelques jours, elle a fait preuve d’acrasie et rentrait le soir chez elle dépitée d’avoir cédé et en baisse d’estime de soi. Nous pouvons noter que si le terme « acrasie » n’est pas posé en tant que tel, notre société commence depuis quelques années à aborder des notions assez proches, sinon déclencheurs comme « la détresse éthique » ou « les conflits de valeurs ».
C’est quand notre travail nous oblige à faire ce que nous ne trouvons pas juste, pour nous ou pour les autres que le malaise s’installe… Et on constate aujourd’hui que de plus en plus d’individus ont envie d’aligner leurs valeurs personnelles et leur métier. Pour beaucoup, la solution est la fameuse « grande démission » que notre société traverse aujourd’hui.