L’acrasie n’est pas la procrastination

On est parfois tentés de confondre l’acrasie avec la procrastination.

Pourtant, la procrastination désigne le fait de remettre l’action à plus tard, alors que l’acrasie est au contraire le fait d’agir… Mais en dépit de ce qu’on sait être bien, pour soi ou pour les autres.

On peut par exemple parler d’acrasie au sujet des addictions, en aucun cas de procrastination : « je sais que le tabac est mauvais pour moi, et si je réfléchis au fait de fumer, mon meilleur jugement m’invite à ne pas allumer de cigarette, mais je le fais quand même ». La procrastination serait de remettre au lendemain le fait d’arrêter de fumer. Nous inscrivons cette différenciation dans le champ des notions paradoxales parce que le paradoxe encadre justement des termes étroitement liés, ici la notion d’action ou de non-action (Vas, Guilmot, 2017).

Dans la notion d’acrasie, il n’y a pas d’erreur d’interprétation, mais un choix à l’encontre d’un jugement : savoir ce qui est bien selon ses propres appréciations et agir autrement. La notion d’acte conscient, mesuré, est essentielle : « agir acratiquement c’est agir intentionnellement (contre son meilleur jugement) » (Kantardjian, 1997).

Soulignons donc que l’acte est reconnu acratique quand l’action est accomplie librement et délibérément.


Perdre ses valeurs au travail

Rester tard au bureau le soir, répondre aux emails professionnels le week-end, reporter ses vacances alors que toute la famille a déjà fait ses valises, négliger un patient ou un client pour en privilégier un autre… Tous ces compromis que nous faisons trop souvent au travail deviennent finalement des pertes de valeurs et nous contraignent à agir contre ce que notre jugeons bon de faire. Ce sont ces « petits arrangements avec soi-même » ou ces « marchandages intellectuels » qui finissent par ronger notre motivation au travail !

Au grand étonnement de celui qui observe le fonctionnement d’une entreprise, il arrive que le salarié agisse même à l’encontre de son jugement dans un contexte de libre-arbitre. Or il s’agit souvent d’une pression que l’acteur fait peser sur lui-même, soit parce que l’organisation l’a habitué ainsi, soit parce que ses valeurs s’entrechoquent dans son fonctionnement au travail.

C’est vrai : comment poser un jour de congé pour emmener son enfant chez le médecin en sachant que ses collègues vont alors être surchargés de travail, comment choisir entre la priorité donnée à sa famille et l’empathie pour les autres ? Les exemples de conflits de valeurs ne manquent pas dans l’univers professionnel. Pour ne citer que le milieu hospitalier, les témoignages sont nombreux de soignants tiraillés entre le temps passé à l’administratif, se soumettant ainsi aux impératifs de l’organisation et leur valeur de compassion qui les inciterait à passer plus de temps auprès des patients.

Les arrangements avec nous-même sont des « actes acratiques« 

En interrogeant de nombreuses personnes au cours de ce travail, nous avons rencontré une banquière au fort tempérament, aujourd’hui à la retraite. A la question « avez-vous déjà fait preuve d’acrasie », elle a tout d’abord nié avoir jamais cédé sur ses principes, trop « carrée » selon elle pour montrer le moindre signe de faiblesse. Puis en fouillant sa mémoire, elle s’est souvenue avoir réellement échoué à résister lorsqu’alors commerciale, elle avait dû vendre à ses clients des actions d’une grosse entreprise de fabricant de tabac. Elle-même non fumeuse et fortement contre la cigarette, elle a dû céder en dépit de ses valeurs pour privilégier le profit.  De son propre aveu, elle a rapidement pris conscience de ce qu’elle faisait et cessé la commercialisation de ces actions pour se concentrer sur d’autres, mais pendant quelques jours, elle a fait preuve d’acrasie et rentrait le soir chez elle dépitée d’avoir cédé et en baisse d’estime de soi. Nous pouvons noter que si le terme « acrasie » n’est pas posé en tant que tel, notre société commence depuis quelques années à aborder des notions assez proches, sinon déclencheurs comme « la détresse éthique » ou « les conflits de valeurs ».

C’est quand notre travail nous oblige à faire ce que nous ne trouvons pas juste, pour nous ou pour les autres que le malaise s’installe… Et on constate aujourd’hui que de plus en plus d’individus ont envie d’aligner leurs valeurs personnelles et leur métier. Pour beaucoup, la solution est la fameuse « grande démission » que notre société traverse aujourd’hui.


Le démon de l’acrasie

Vous savez que ce que vous allez faire n’est pas bien ? Par exemple allumer une cigarette, « oublier » de ramasser la crotte de votre chien sur le trottoir, prendre la voiture pour faire 500 mètres, ou remettre le traitement de ce dossier hyper-urgent à demain ? Et bien vous êtes en plein dans l’acrasie !

L’acrasie pourrait se définir comme ça : « vous savez ce qui est bien. Vous avez évalué le positif et le négatif, pourtant vous faites le contraire de ce que vous dit votre jugement. »

Difficile à croire ?

C’est pour ça que j’ai voulu créer ce site : pour rendre justice à cette notion, mal connue ou mal comprise…

Qui suis-je ?

Ce site est le résultat de plusieurs mois de recherche universitaire que je poursuis pour moi… Et pour vous. C’est pourquoi ses pages évoluent en permanence ! J’espère que vous aurez autant de plaisir à naviguer sur ce site que moi à le réaliser 🙂

Je m’appelle Laurence Gauthé, titulaire d’un Master culture et communication, d’une formation en journalisme, et ex rédactrice en chef d’un magazine sur les médecines alternatives (santé et bien-être). Je suis aujourd’hui enseignante.

J’ai découvert la notion d’acrasie dans le cadre de la recherche universitaire pour mon mémoire. Le sujet m’a presque sauté dessus parce qu’enfin j’ai réussi à mettre un mot sur cette étrange manie que nous avons tous : savoir ce qui est bien et faire le contraire !

Ça vous parle sans vous parler ? Alors je vous donne un exemple…

Hier j’ai vu un bus amorcer un virage avec une voiture en face et il était évident que ça ne passerait pas ! Pourtant le conducteur y est allé. Heureusement, le chauffeur de la voiture a pu reculer rapidement parce qu’il n’y avait personne derrière, mais si ça n’avait pas été le cas ? Qu’est-ce qui s’est passé dans la tête du chauffeur du bus ? C’est ce que j’ai essayé de découvrir en me penchant sur l’acrasie…

Cette citation d’Ovide illustre bien toutes nos contradictions : « Je vois le bien, je l’approuve, et je fais le mal ». L’objectif de ce site est de découvrir pourquoi et comment…

Soyez les bienvenus !